Interview

Formule 1 : pourquoi Ayrton Senna était un pilote unique

ENTRETIEN. La légende brésilienne a trouvé la mort le 1er mai 1994, sur le circuit d’Imola, en Italie. Lionel Froissart, qui l’a très bien connu, nous explique pourquoi il est inoubliable.

Propos recueillis par

Ayrton Senna, portant les couleurs de Williams, lors de son ultime saison en Formule 1, l'année de son accident fatal.
Ayrton Senna, portant les couleurs de Williams, lors de son ultime saison en Formule 1, l'année de son accident fatal. © Sipa

Temps de lecture : 6 min

« Ayrton me manque, il a marqué ma vie. » Lionel Froissart se livre volontiers à cette confidence personnelle lorsqu'il évoque le légendaire pilote brésilien, qu'il a rencontré au début de sa carrière, en karting, pour ne plus jamais le lâcher. Trente ans après son accident fatal, survenu le 1er mai 1994 contre un mur du circuit italien d'Imola, près de Bologne, le triple champion du monde de Formule 1 continue de fasciner et d'inspirer des pilotes du monde entier. Un héritage qui continue d'épater le journaliste, qui a travaillé pour Libération pendant près de trente ans, spécialiste de F1 depuis plus de quarante ans, et qui s'est rendu sur pas moins de 500 Grands Prix. Fin connaisseur du Brésilien, qu'il a côtoyé à l'intérieur et en dehors des circuits, il vient de publier L'Icône immolée, roman qu'il consacre aux dernières heures du pilote, après lui avoir dédié plusieurs livres dans le passé.

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Le Point : Trente ans après sa mort, le souvenir d'Ayrton Senna semble toujours aussi vif. Faites-vous ce même constat ?

Lionel Froissart : Oui, et c'est assez étonnant d'ailleurs de voir que, 30 ans après sa disparition, il est toujours là. Je vois, sur les Grands Prix sur lesquels je me rends, qu'il y a toujours un rappel à Ayrton Senna. C'est un spectateur qui porte une casquette, une banderole à son nom, c'est un pilote qui en parle ou c'est une référence qui lui est faite, d'un point de vue technique ou sportif. C'est le seul pilote pour lequel ça existe et pour qui c'est aussi récurrent.

Qu'est-ce qui fait qu'Ayrton Senna est si « spécial » ?

Il y a la façon tragique dont l'histoire s'est terminée, bien sûr. Le fait de mourir en pleine gloire, au sommet de son art, en mondovision, etc. Je pense que tout cela a contribué à structurer une image, peut-être un peu magnifiée parfois. Mais c'était un personnage vraiment pas comme les autres. Il avait un charisme incroyable. Au-delà du pilote et de la performance sportive, c'était vraiment quelqu'un qui dégageait quelque chose de très particulier, ce qui est assez rare. Il faut l'avoir connu, lui avoir parlé pour avoir ressenti cette chose-là.

Les drapeaux, photos et souvenirs en mémoire du Brésilien, mais aussi du pilote autrichien Roland Ratzenberger, sont très nombreux, encore aujourd'hui, sur le circuit d'Imola. 
©  Jérémy Maccaud pour « Le Point »
Les drapeaux, photos et souvenirs en mémoire du Brésilien, mais aussi du pilote autrichien Roland Ratzenberger, sont très nombreux, encore aujourd'hui, sur le circuit d'Imola.  © Jérémy Maccaud pour « Le Point »
La statue en hommage à Ayrton Senna, aux abords du virage du Tamburello, sur le circuit Enzo e Dino Ferrari d'Imola, où le pilote brésilien s'est tué il y a 30 ans.
©  Jérémy Maccaud pour « Le Point »
La statue en hommage à Ayrton Senna, aux abords du virage du Tamburello, sur le circuit Enzo e Dino Ferrari d'Imola, où le pilote brésilien s'est tué il y a 30 ans. © Jérémy Maccaud pour « Le Point »

Beaucoup de journalistes de cette époque se souviennent de ses conférences de presse ou de ses interventions, où tout le monde faisait silence et écoutait religieusement ce qu'il disait. Ça avait toujours du sens et c'était toujours structuré, argumenté. Ça ne veut pas dire qu'il avait toujours raison, mais, en tout cas, il défendait ses positions de manière très, très précise.

Il est régulièrement cité comme une inspiration par les pilotes, y compris les plus jeunes qui n'étaient pas nés lorsqu'il était en Formule 1

Ils ne sont pas très nombreux, les pilotes de Formule 1 qui sont en activité aujourd'hui et qui l'ont connu [ils sont 7, sur 20, à être nés avant 1994, NDLR]. Les plus vieux, évidemment, s'en souviennent très bien, comme Fernando Alonso. Pareil pour Lewis Hamilton, qui faisait du karting le jour où Senna a eu son accident. C'est son père qui lui a annoncé, après sa course, qu'il était décédé.

C’était un pilote total.

Dans la nouvelle génération, il y en a pas mal qui lui font référence, notamment Charles Leclerc et Pierre Gasly qui ont visité l'Institut Senna* l'année dernière à l'occasion du Grand Prix du Brésil. Je crois que ce qui les marque, c'est la façon dont Ayrton abordait la course et s'impliquait dans la compétition. Cette manière qu'il avait de tout donner à son sport, avec un style très, très spectaculaire. En course, il était agressif dans le bon sens du terme.

C'était un pilote total. Au-delà de la performance en piste, c'était son travail à côté aussi qui était assez remarquable. Il arrivait à souder autour de lui tous les ingénieurs et techniciens, les motoristes qui étaient vraiment à son écoute et qui étaient prêts à faire beaucoup pour lui apporter ce qu'il attendait.

Michael Schumacher, Sebastian Vettel, Lewis Hamilton et maintenant Max Verstappen… De nombreux pilotes ont dominé la Formule 1 depuis cette époque. Tous les records ont été battus, avant d'être encore améliorés. Parmi tous ces champions, y en a-t-il qui vous rappellent Ayrton Senna ?

Dans la façon de courir, de se donner vraiment à 100 % dès les premiers tours de roues, je pense que Verstappen a un style qui pourrait se comparer à celui de Senna jeune, lors de ses premières années, avant qu'il ne rejoigne McLaren. Après, Senna a eu un pilotage un peu plus polissé. Son agressivité était alors mieux contrôlée, il s'est dirigé vers un pilotage beaucoup plus épuré, par exemple à la Alain Prost.

À LIRE AUSSI WEC 2024 : parce qu'il n'y a pas que la Formule 1 dans la vieMais, aujourd'hui, Verstappen est vraiment à l'attaque en permanence, chaque tour doit être une performance pour lui. En cela, il se rapproche de Senna. Lewis Hamilton, qui appréciait et qui apprécie beaucoup Senna sans l'avoir connu, a des côtés dans sa personnalité qui peuvent se rapprocher de lui dans le sens où son nom va au-delà du sport. Verstappen, c'est vraiment la F1 et rien d'autre. Vous avez pu remarquer que Hamilton fait beaucoup de choses en dehors de la Formule 1, et sa personnalité déborde largement le cadre du sport.

Alain Prost et Ayrton Senna, le 22 octobre 1989 sur le circuit japonais de Suzuka, lors d'une course qui allait sceller leur rivalité légendaire.
©  Tsugufumi Matsumoto - AP - Sipa
Alain Prost et Ayrton Senna, le 22 octobre 1989 sur le circuit japonais de Suzuka, lors d'une course qui allait sceller leur rivalité légendaire. © Tsugufumi Matsumoto - AP - Sipa

Quand on pense à Ayrton Senna, on pense tout de suite à Alain Prost, et inversement. Leur histoire est-elle aussi indissociable qu'on le dit ?

Ils sont indissociables dans le sens où ils ont offert à la F1 un des plus beaux duels de l'histoire. Si on cherche dans le passé, c'est assez difficile de trouver un tel niveau de rivalité entre deux pilotes, surtout d'une même équipe. C'est cela qui a augmenté aussi la qualité de leur bataille, puisqu'en 1988-1989 ils étaient dans la même équipe. Après, en 1990, Alain Prost est passé chez Ferrari.À LIRE AUSSI 22 octobre 1989. Le jour où la rivalité entre Senna et Prost en F1 exploseCe qu'il serait resté dans leur histoire en F1 ne serait pas du tout la même chose l'un sans l'autre : Senna aurait enfilé les titres et des victoires sans Prost et Prost aurait gagné beaucoup plus de titres et de victoires sans Senna, un peu à la manière de Michael Schumacher. Si on manque d'adversaires, les titres sont moins prestigieux et les victoires, moins représentatives.

Dans votre dernier livre, L'Icône immolée, vous avez fait un choix audacieux en le rédigeant à la première personne, en vous mettant dans la tête d'Ayrton Senna, qui avait la réputation d'être très difficile à cerner.

Il s'est quand même beaucoup exprimé. Durant sa carrière, il n'était pas muet, il expliquait beaucoup de choses. Et, si je me suis autorisé cela, c'est parce que je le connaissais bien, depuis 1978 et sa carrière en karting, donc bien avant qu'il ne commence en Formule 1. J'ai suivi toute sa carrière en Formule 1. J'ai eu la chance d'être assez proche de lui pour discuter en dehors des Grands Prix, des choses de la vie, de la sécurité, etc. Je n'aurais pas fait cela avec un autre pilote. Je ne pense pas avoir trahi Ayrton et je pense l'avoir assez bien connu et cerné pour oser. Après, c'est écrit sous la forme d'un roman, donc il y a des dialogues qui sont reconstitués. C'est un exercice littéraire que j'avais envie de tenter.

Pouvez-vous nous raconter votre première rencontre avec Ayrton Senna ?

Je suivais le karting à l'époque, j'étais au Championnat du monde au Mans et mon œil a immédiatement été attiré par son style très spectaculaire et très particulier. C'était une évidence. Je l'ai vu piloter pour la première fois, je me suis dit « waouh, ce n'est pas quelqu'un comme les autres ». J'ai vu son numéro 70 et ça a été un coup de foudre sportif.

Senna était incomparable dans sa façon de mener un engin moteur avec un volant et quatre roues.

Donc je suis allé lui parler. On a sympathisé assez rapidement. Une complicité s'est nouée entre nous, on s'entendait bien et je pense qu'il me faisait confiance. J'ai toujours aimé l'aspect humain du sport automobile, l'aspect technique m'intéresse vraiment à la marge. Ce qui m'intéresse, c'est de voir les pilotes en action, une voiture à l'arrêt ne m'intéresse pas du tout. Et, pour ça, Senna était incomparable dans sa façon de mener un engin moteur avec un volant et quatre roues.

*Peu avant son accident tragique, Ayrton Senna avait fait part à sa sœur, Viviane, de son envie de venir en aide aux jeunes Brésiliens démunis. La fondation qui porte son nom verra le jour six mois après sa mort. Elle œuvre, encore aujourd'hui, à offrir un meilleur accès à l'éducation aux enfants et adolescents.

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Commentaires (8)

  • Christophe156

    On glorifie Senna car il est mort tragiquement. Mais depuis Michael Schumacher, Hamilton, Verstappen ont largement fait aussi bien, sinon mieux que Senna.
    Senna, tout comme Schumacher après lui, avaient parfois un comportement limite en piste, qui ne serait désormais plus accepté sans sanction sévère.

  • danmey

    "il était agressif dans le bon sens du terme" Mais bien sûr ! Et sa tentative d'homicide avec préméditation au départ du GP du Japon 1990 sur A. Prost, on en reparle ? Senna, Schumacher, Verstappen, Perez, Sainz (pour les plus célèbres et ou en activité) même combat, des moins que rien sur ce plan là.

  • le couperet

    J'ai toujours préféré Alain prost, un champion, un vrai !